Le kilogramme étalon – un cylindre de platine et d’iridium

par | 14. avril 2022 | Connaissances

Les unités de mesure standardisées sont essentielles non seulement pour la science, mais également pour le commerce et l’industrie. Jusqu’à que ces normes soient définies et largement acceptées, le chemin a toutefois été long et difficile.

En 1789, la Révolution française a bouleversé l’ensemble des structures existantes de l’époque. Non seulement a-t-elle aboli l’ancien régime, mais elle a voulu tout changer, entre autres également la mesure du temps. Ainsi, un jour devait avoir dix heures et chaque heure 100 minutes. Si, dès 1795, un décret a annulé le système décimal pour le temps, sa popularité s’est toutefois vite établie pour les poids, volumes et autres longueurs. Jusque là, un grand nombre d’unités de mesure différentes était utilisé en France et dans le reste de l’Europe. L’Académie des sciences avait formé une commission d’experts afin de développer les bases du nouveau système. L’unité de longueur, plus tard appelée « mètre », fut définie comme la dix-millionième partie de la distance entre le pôle nord et l’équateur, mesurée sur le méridien terrestre passant par Paris. Cette distance devait être évaluée sur la base de l’arc séparant Dunkerque et Barcelone, deux villes se situant sur ce méridien. Une opération considérablement moins complexe qu’un voyage en Arctique. Retardé par les troubles de la révolution, le projet qui avait été confié à Pierre Méchain et Jean-Baptiste Delambre ne put être complété qu’en 1799. On avait entre temps déjà commandé plusieurs tiges de platine qui devaient servir de prototype pour la nouvelle mesure de longueur.

Il est d’ailleurs assez étonnant que l’on ait choisi le platine, car ce n’est en fait que vers le milieu du XVIIIe siècle que l’Europe a commencé à s’intéresser sérieusement à ce métal. La tige de platine qui correspondait le plus exactement aux calculs de Méchain et Delambre fut finalement déposée aux Archives nationales en juin 1799 et appelée mètre des Archives

La référence pour la mesure de longueur une fois établie, on a pu préciser la définition jusque là provisoire du gramme. Il devait s’agir du poids d’un centimètre cube d’eau à une température de 4 °C, lorsque ce liquide affiche sa densité la plus élevée. Également réalisé en platine, le kilogramme des Archives a lui aussi été déposé aux Archives nationales, situées à l’époque dans le palais des Tuileries. Le système métrique était né.

Platine et iridium pour le deuxième prototype du kilogramme

Même dans leur pays d’origine, le mètre et le (kilo)gramme n’ont toutefois pas été immédiatement acceptés et ce n’est que dans les années 1850 qu’ils ont fini par s’imposer. Leur avancée dans les autres pays européens s’accéléra également pendant cette période. Une Convention du mètre qui contribuera au développement et à l’harmonisation du système métrique est signée en 1875 par dix-sept États (dont l’empire allemand et, bien évidemment, la France). À cette occasion, on décide de plus de fabriquer trois nouveaux prototypes du kilogramme. L’un de ceux-ci, K3, remplace en 1889 le kilogramme étalon d’origine. Il est aujourd’hui encore conservé à Sèvres, près de Paris, dans un coffre-fort du Bureau international des poids et mesures (BIPM).

Une des copies du kilogramme étalon (Source : Physikalisch-Technische Bundesanstalt)

Contrairement à son prédécesseur qui était en platine pur, le nouveau kilogramme étalon est constitué d’un alliage de 90 % de platine et de 10 % d’iridium. L’ajout d’iridium augmente fortement la dureté du platine et minimise ainsi sa sensibilité à l’abrasion. Le grand K, un cylindre de 39,17 mm de hauteur et de diamètre protégé par deux cloches de verre scellées, doit en effet être dépoussiéré de temps en temps.

Le grand K perd de la masse

Au vu des deux métaux précieux dont il est constitué, on pourrait penser que l’étalon du kilogramme est un objet aux caractéristiques immuables. Le platine est aujourd’hui en effet utilisé pour des applications de haute technologie dont la tolérance aux variations est infime. Or, les mesures régulières ont révélé un étrange phénomène : le grand K montre des signes de faiblesse. Lors de la dernière pesée, en 1992, on a constaté qu’il avait perdu 50 microgrammes, soit l’équivalent d’un grain de sel. On ne connaît pas la raison précise de cette variation, mais ses répercussions sont toutefois si élevées que les scientifiques ont cherché à trouver une nouvelle base pour cette unité de mesure. Ceci a déjà été fait pour le mètre qui, depuis 1983, est défini par la vitesse de la lumière dans le vide, ainsi que pour la seconde, dont le calcul repose sur une constante atomique.

La 26e réunion de la Conférence générale des poids et mesure qui s’est tenue à Versailles en novembre 2018 a décidé de relier la valeur de la masse du kilogramme à la constante de Planck. La décision est entrée en vigueur en mai de l’année suivante. Si les détails de cette constante fondamentale sont probablement incompréhensibles pour le commun du mortel (auteur du présent article inclus), les scientifiques estiment qu’elle garantit la pérennité et l’universalité de la valeur du kilogramme.

De l’autre côté de l’Atlantique, on reste attaché pour de nombreux domaines du quotidien aux unités de mesure américaines (United States customary system), elles-mêmes originaires de Grande-Bretagne. Rien que pour la mesure des longueurs, on a le choix entre les pouces, les pieds, les yards et les miles, ce qui ne manque pas de déconcerter les visiteurs européens. Sans parler des unités de volumes, qui sont encore plus variées.

Photo : Physikalisch-Technische Bundesanstalt

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